L’association des amis de Léonce de Saint-Martin vient de perdre son président, Jean Guérard. Ses obsèques seront célébrées en l’église Notre-Dame des Champs (91 bd du Montparnasse 75006 Paris), sa paroisse, le mercredi 28 décembre …
Vient de paraître sous la signature de notre chère Marie-Christine Steinmetz et édité par l’association Boëllmann-Gigout Une histoire de tribune: de Louis Vierne à Pierre Cochereau, Léonce de Saint-Martin (1886-1954), organiste titulaire de Notre-Dame de …
Viennent de paraître chez Combre Editions « Versets de fêtes », deuxrecueils d’œuvres que Léonce de Saint-Martin avait conçues pours’inscrire dans le déroulement de la liturgie des grandes fêtes àNotre-Dame de Paris. Volume 1: Venez, divin Messie, …
Hommage à Léonce de Saint-Martin aux grandes-orgues de Notre-Dame de Paris. En 1953, un jeune étudiant en médecine, Pierre Baculard, passionné d’orgue, fidèle de la tribune du grand orgue de Notre-Dame de Paris, diagnostique que …
Vient de paraître 1900 – 1954 Louis Vierne – Léonce de Saint-Martin Biographies et œuvres Un magnifique ouvrage en langue allemande de Günter Lade. Edition bibliophile de plus de 600 pages et plus de 600 …
Ni daté, ni catalogué, le Tantum ergo a vraisemblablement été écrit après la Seconde guerre. L’œuvre est écrite pour voix d’homme et accompagnement.
Le texte impose gravité et mystère. Le compositeur s’y conforme.
Hiératique, l’harmonie se déroule dans une modalité incertaine qu’accentue la succession d’accords de septième. La solennité du chant et ces ambiguïtés harmoniques recouvrent d’un voile de mystère et de respect le plus mystérieux et le plus sublime des sacrements. A ce point que l’imagination compositionnelle semble symboliquement défaillir à deux reprises (« defectui » dit le texte latin) devant l’ineffable, et se résorber dans l’humble dépouillement d’un unisson. Encore plus dépouillé, l’Amen s’éteint dans le silence.
Dans la liturgie traditionnelle, l’antienne « Tu es Petrus » (Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise) se chantait en l’honneur du Saint-Père pendant les saluts du Saint-Sacrement, juste avant le « Tantum ergo » précédant la bénédiction.
La forme solennelle de cette œuvre, 4 voix mixtes, deux orgues, cuivres ad libitum, la destinait aux grandes cérémonies. La première audition eut lieu le 13 février 1931 pour le neuvième anniversaire du couronnement de Pie XI.
Quelle grâce de fraîcheur a touché Saint-Martin pour écrire cet Ave Maria pour voix et orgue, dédié à l’abbé le Rouzic, à l’époque directeur de la maîtrise de la cathédrale !
Une mélodie toute fluide dans la douceur de ses intervalles, des accords tout simples, pas une seule modulation, Dans la pureté de l’inspiration et la modestie des moyens, on rejoint la beauté inimitable des antiennes mariales grégoriennes.
Au rythme d’une chevauchée, des arpèges annoncent le thème. Leur vivace jubilation parcourt toute la toccata. Le thème apparaît à la pédale, d’une force retenue, comme une grande respiration, une vague d’espoir surgissant des profondeurs. Après diverses réexpositions, le thème s’attendrit. Calme mélodie de paix, presque priante.
Le rythme nous reconduit au thème d’origine avec son écho à l’octave au pédalier. Thème repris en tutti. On dirait d’une foule débordante de joie. Apothéose d’un carillon. Tension, double rappel du thème, montée des arpèges au plus haut du clavier et quatre longs majestueux accords concluent l’œuvre.
Ecrite alors que la guerre faisait rage, que les balles sifflaient et que des barricades se dressaient dans Paris, cette toccata traduit les sentiments des Français en cet août 1944 : fierté renaissante, approche de la paix, bonheur de la liberté.
Ce Panis Angelicus est dédié à Lucien Verroust, en ces années magnifique ténor soliste du chœur de la cathédrale. Un soliste chante la première strophe et dans la seconde, il est soutenu par un chœur à 4 voix mixtes, comme le « Panis » de César Franck.
Ces deux strophes sont constituées du poème particulièrement dense dont saint Thomas d’Aquin a revêtu sa contemplation du mystère eucharistique. Sur cet énoncé, Saint-Martin n’a pas cherché à étaler de pieux apprêts. Il s’en est tenu à ce qui justifiait l’expression poétique voulue par le Docteur Angélique et que le texte dit lui-même : « O res mirabilis ». C’est cette envolée admirative qui a inspiré le musicien et lui a suggéré ses moyens d’expression.
Décembre 1931-mars 1932. Inaugurée à Saint-Eustache.
Ecrite pour 4 voix mixtes, deux orgues, cuivres ad libitum, la Messe en mi fut commandée par le chanoine Merret, maître de chapelle de la cathédrale, à qui d’ailleurs elle est dédiée.
Solennelle par les moyens employés, cette messe n’entend cependant pas sacrifier à un genre musical parmi d’autres. Son intention est de s’accorder pleinement à l’action liturgique. Toute sa conception va dans ce sens :
– Respect de la signification trinitaire de sa construction, toutes les invocations, prières, louanges allant par trois ;
– Point de ces répétitions où les mots ne servent que de support à la musique ; point de ces développements qui ralentissent le rythme liturgique. Respect des accentuations de la langue latine pour aider à la claire audition des paroles.
– Respect du sens des textes : la musique amplifie les textes et ne les annexe pas.
L’on part des vigoureuses supplications du Kyrie pour terminer dans la paix de l’Agnus tandis qu’entre les deux, les triomphants Gloria et Sanctus font retentir les tutti de la louange. Dans les parties centrales, les prières qui s’adressent spécialement au Christ, s’expriment au travers de modulations qui trouvent leur aboutissement dans les tendres inflexions de l’Agnus. Et comment ne pas relever la sereine pureté des mélodies de l’ « et in terra pax » et du « Benedictus » ?
– Les interventions du grand orgue confirment cette primauté donnée aux textes. Loin d’être un interlocuteur à part entière, on peut le comparer à un acolyte au service musical des voix, uniques porte-paroles. Soit sa puissance emplit l’espace pour ouvrir les oreilles et les coeurs. Soit il assure les transitions de climat ; particulièrement caractéristique à cet égard, le recueillement, pendant le temps de la consécration, de l’interlude précédant le Benedictus. Soit enfin, il soutient de ses accords les passages en force.
– Le souci de ne pas diluer le texte dans la musique. Au contraire, la musique en exalte la densité et la cohérence. Tout repose sur deux cellules, symboles l’une de prière, l’autre de louange, à l’image des textes même du commun de la messe.
La première, invariable, s’affirme dès la première mesure. Trois notes qui apparaissent dès qu’il s’agit de supplication. Interpellation presque brutale dans les premiers Kyrie, elles adoucissent leur rythme dans les derniers Kyrie, comme si les confiantes prières du Christe central avaient ouvert la porte à l’espérance. Elles réapparaissent légèrement insistantes dans les miserere du Gloria et dans ceux des deux premiers Agnus.
La seconde repose sur les cinq notes de l’intonation du Te Deum grégorien. Ces cinq notes, jamais citées à la lettre, mais détaillées, fractionnées, rétrogradées, toujours entendues entre les lignes, structurent toute l’oeuvre et en traduisent toutes les nuances.
En 1940, sera composé un FINAL op. 19 pour servir de postlude à ma messe. Trois idées y sont mises en œuvre : la cellule rythmique du Kyrie, la mélodie du Benedictus et, thème principal, un nouvel agencement de la cellule de cinq notes « Te Deum », mettant en valeur les deux intervalles de quarte qu’elle contient.
C’est en mémoire de sa mère qui, tout le long de son adolescence et de sa maturité, avait permis sa formation musicale malgré les entraves paternelles, que Saint-Martin composa ce Kyrie funèbre pour 4 voix mixtes et deux orgues, cuivres ad libitum.
L’amour filial jaillit du cœur. Il n’est pas question d’envelopper un tel deuil d’enjolivures musicales. L’on va droit à l’essentiel, l’appel à la miséricorde divine pour le salut d’une mère très chérie. Kyrie eleison ! Supplication tellement ardente qu’elle déborde largement le cours de la liturgie avec pas moins de quatorze Kyrie, douze Christe et les sept Kyrie suivants. Trente-trois appels, l’âge de la mort du Christ…
Telles des pleurs, les fluctuations chromatiques des alti et des ténors traversent les appels pressants exprimés par le grand orgue, les soprani et les basses. Divers accords traduisent aussi la douleur latente. Après la prière du Christe et comme si le Consolateur rendait inutile de multiplier les adjurations, la reprise des Kyrie se fait à la fin plus concise. Les supplications se font plus priantes. Dans le dernier Kyrie, l’auteur ne peut retenir le cri d’un saut à l’octave. Après un bref silence, tout s’apaise.
Né le 31 octobre 1886 de parents fortunés au château de Fonlabour (aujourd’hui lycée agricole d’Albi-Fonlabour), le comte Léonce de Saint-Martin de Paylha manifeste très jeune un don exceptionnel pour la musique et un amour passionné de l’orgue. Il se met au piano dès l’âge de quatre ans avec l’aide de sa mère, excellente pianiste, et à neuf ans, grâce au curé de la cathédrale Sainte-Cécile, convaincu de sa vocation, il a le bonheur d’en toucher le monumental grand orgue. A quatorze ans, il en devient organiste suppléant. En 1904, l’instrument est reconstruit par Jean-Baptiste Puget. Quatre claviers, 74 jeux, dont 42 en boîte expressive, en font l’un des orgues symphoniques les plus importants de France. Pour le jeune Léonce, c’est presque le paradis. Il en sera marqué à jamais.
De cette jeunesse heureuse, il
gardera toujours la nostalgie. Sa personnalité s’est bâtie sur ces années de piano et d’orgue, et aussi sur les
certitudes de la foi transmises par sa famille et par deux prêtres très proches.
L’aisance ne captivait pas les âmes. Dans ce milieu aristocratique, on ne
parlait ni ne pensait à l’argent. Cela ne faisait pas partie de l’éducation. Ce
pourquoi sans doute, Saint-Martin conservera à ce sujet, tout le long de sa vie,
une candeur incroyable.
Passé le baccalauréat, son père
n’entend pas le voir perdre son temps dans la frivolité d’études musicales. Il
lui impose de préparer une licence en droit en vue d’une carrière d’avocat. Avec la complicité de sa mère, il parvient néanmoins
à mener de front à Montpellier l’étude du
droit à la faculté et celle de l’instrument auprès d’un professeur du
conservatoire. La licence obtenue en 1906, il n’envisage toujours pas d’autre programme
de vie que la musique, et plus précisément celle imbriquant la musique et la
foi. Il l’affirme en toute clarté dans une mélodie pour voix et piano sur un petit
poème de sa composition, « Prière à
Sainte Cécile ».
Les musiques aussi sont pour vous des prières. Sur les ailes des sons, nos âmes vont à Dieu… Pour ceux…dont le jeune espoir fleurit à votre autel, Protégez leur maison et bénissez leur vie Et que leurs cœurs soient pleins de musique du ciel.
Après les deux ans du service
militaire obligatoire, il peut enfin consacrer tout son temps à la musique. Une
rencontre heureuse survient, celle de la fille de Georges Clemenceau, Madeleine
Jacquemaire-Clemenceau, écrivain et future figure de l’Union des Femmes de
France. Elle l’écoute aux grandes orgues de la cathédrale d’Albi. Impressionnée
par son talent, elle finit par le décider à monter à Paris pour y retrouver son
compatriote Adolphe Marty, organiste de Saint-François Xavier et professeur à
l’Institut des Jeunes Aveugles où il forma durant plus de 40 ans nombre
d’organistes.
C’est alors un travail acharné avec cet organiste dont il devient bientôt l’adjoint à Saint-François Xavier. Il fréquente en même temps avec assiduité les autres tribunes parisiennes à l’écoute des meilleurs organistes et des plus beaux instruments.
Mais, 1er août 1914,
c’est la guerre. Nouveau contretemps. Mobilisé comme maréchal des logis
d’artillerie, il en revient en avril 1919 avec la croix de guerre et le grade
de lieutenant. « Cinq années de glorieuse inactivité artistique »,
dira-t-il.
1919 – 1932
Nouveau départ. Une
heureuse rencontre à la tribune de Saint-François-Xavier fin 1919 le conduit à
succéder à Jean Huré comme organiste de l’église des Blancs-Manteaux dans le
Marais, à deux pas de son appartement du 20 Place des Vosges. Dans le même
temps, il se perfectionne en contrepoint et fugue avec Albert Bertelin, grand
prix de Rome en 1902 et professeur à l’école César Franck.
En 1920, ce sont deux rencontres
décisives.
Un jour de décembre 1920, Marcel
Dupré, alors suppléant de Louis Vierne à Notre-Dame de Paris, se trouve brusquement
empêché de tenir le grand orgue. Cherchant d’urgence un remplaçant, il
questionne l’organiste du chœur, Albert Serre, qui lui propose de faire appel à
Saint-Martin. Dupré le connaissait un peu. Aux vêpres d’un dimanche de 1917, il
l’avait invité à prendre les claviers après le Magnificat. Et en 1919, l’expérience
avait été renouvelée avec succès à Saint-Sulpice. Désormais, chaque fois que
nécessaire, Dupré fera appel à lui en plein accord avec Vierne.
Une longue amitié prend forme. En
juin 1922, il inaugure l’orgue Gutschenritter que Saint-Martin a fait installer
chez lui. Sur cet orgue, il préparera ses fameux récitals Bach au Trocadéro. Tous
deux s’appellent par leurs prénoms, prennent fréquemment contact par téléphone.
Cette amitié restera indéfectible jusqu’aux derniers jours.
Autre rencontre décisive, celle
de Louis Vierne. Dès le retour de celui-ci des quatre ans passés en Suisse pour
soigner sa vue, Adolphe Marty, son ancien professeur, lui présente Saint-Martin.
Auprès du grand organiste, celui-ci parachève sa formation. Dès 1922, quand
Marcel Dupré se trouve empêché, Vierne fait appel à lui. Après ce que Vierne
appellera la « trahison » de Dupré, ces remplacements se feront de
plus en plus fréquents et, en 1926, au départ pour Le Havre de Pierre Auvray,
l’autre suppléant, Saint-Martin restera seul suppléant.
Entre Saint-Martin, Vierne, et
Madeleine Richepin, dite « Bichette », sa tendre égérie et secrétaire,
cantatrice passionnée des mélodies qu’il lui dédie, nait une profonde amitié.
« L’immense affection que nous vous portons à tous deux pour
toujours » lui écrit-elle des USA pendant la tournée de Vierne. D’ailleurs
celui-ci confie un jour à son brillant élève, le chanoine Auguste Fauchard,
futur auteur de quatre symphonies admirées par Dupré : « Si un jour
je devais cohabiter avec quelqu’un, mes préférences iraient vers lui » (Auguste Fauchard, «
Souvenirs » Les cahiers Boëllmann-Gigout n°11-15 1913).
Au cours de ces années,
Saint-Martin déploie une intense activité. En 1924, il est nommé organiste du
théâtre des Champs-Elysées. En 1926, il fait partie du premier cercle des
« Amis de l’orgue » que promeut Béranger de Miramon. Régulièrement, dans
son « salon rouge » où trônent son orgue et son Pleyel à double clavier,
il organise avec sa femme, excellente pianiste, des réunions musicales où le chant
tient une grande place.
Ce sont des concerts à Paris, où
il met à l’honneur des œuvres d’Albert Bertelin et Georges Migot. En 1928, des
récitals à Prague. De février à juin 1928, 14 concerts qu’il organise pour la
restauration de son orgue des Blancs-Manteaux. Quatorze organistes y apportent
leur concours, dont Charles-Marie Widor, André Fleury, Louis Vierne, André
Marchal, Jean Huré, Joseph Bonnet et lui-même. En octobre 1930, il clôture, à Liège,
les « Concerts d’orgue » qu’avait inaugurés Marcel Dupré dans le
cadre de l’Exposition Universelle.
Cette même année, pour se procurer quelques subsides, il enregistre des transcriptions anodines sous le nom de Léo Stin. Vierne souhaite en effet que le nom de son suppléant n’apparaisse que pour les cérémonies religieuses et les concerts classiques. L’insouciance de certains journalistes fit que ce ne fut pas toujours le cas. Dans sa susceptibilité maladive, Vierne se met à soupçonner une nouvelle « trahison ». Au travers des cinglantes critiques de certains journaux sur les qualités de cantatrice de sa chère Madeleine, il suspecte une cabale contre lui-même. Et celle-ci, que raconta-t-elle à Vierne après le refus de Saint-Martin de donner suite à la proposition qu’elle lui avait faite d’une tournée à deux aux USA ? Une lettre de Vierne parvient place des Vosges : « Je croyais votre amitié aussi sûre que fidèle… Je compte sur votre courtoisie, sinon sur votre affection, pour m’éviter toute visite où que ce soit ». Ce coup imputant la responsabilité de la rupture à celui qui en est la victime, blesse terriblement le destinataire. Aucune tentative de rapprochement n’aboutira. Malgré cette épreuve, Saint-Martin pardonnera, et continuera à vénérer son maître en interprétant assidûment ses œuvres.
Dans le même temps, les relations
de Vierne avec le clergé de Notre-Dame se dégradent. Son subjectivisme de plus
en plus indifférent à la liturgie, ses sautes d’humeur incontrôlables, son
attitude vis-à-vis de Saint-Martin qui donne pleine satisfaction à chacune de
ses interventions et qu’il cherche à évincer en faveur deson brillant élève, Maurice
Duruflé, la place hors de propos qu’a prise Madeleine Richepin à la tribune du
grand orgue sur le titulaire, vieillissant, effondré à l’annonce qu’elle lui a
faite de son mariage avec celui qui le soigne, le docteur Mallet, tout cela
cumulé, toutes les tentatives d’apaisement ayant échoué, le Chapitre, excédé,
tranche, et en mai 1932 titularise Saint-Martin suppléant officiel de Louis
Vierne.
1932 – 1954
L’état de santé déclinant de celui-ci
le rendant de moins en moins disponible, Saint-Martin va consacrer presque tout
son temps au service de Notre-Dame, préparant avec soin le répertoire adapté à
chaque célébration.
Au cours des années 1933-1934, il
travaille avec l’abbé Puget, physicien, sur le projet d’un orgue
radio-synthétique techniquement très novateur, mais qui n’aura pas de suite à cause du manque de fiabilité de
certains éléments. Saint-Martin y laissa quelques deniers, car l’abbé Puget se
montra trop exigeant vis-à-vis du constructeur d’orgues américain Hamond qui se
proposait de racheter le brevet.
De janvier 1936 à avril 1937, il
donne chaque jeudi dans les locaux de Cavaillé-Coll cinquante-trois récitals
radiodiffusés sur Radio-Paris, au cours desquels il interprète plus de cent
cinquante œuvres de trente compositeurs différents, Bach particulièrement à
l’honneur avec 40 œuvres, suivi de Vierne et de Widor.
Le 2 juin 1937, Louis Vierne,
pris d’un malaise soudain, décède à ses claviers au cours d’un récital à
Notre-Dame pour le dixième anniversaire des « Amis de l’Orgue ». Dès
le 5 juin, devant le cercueil, à l’issue des obsèques, Béranger de Miramon,
président de l’association, donne lecture de la copie d’une lettre adressée par
Vierne le 4 février 1936 au cardinal Verdier, archevêque de Paris, dans
laquelle il émet le vœu que son successeur soit soumis, comme il l’avait été,
aux épreuves d’un concours.
Le lendemain, une pétition signée
par cinquante-cinq organistes et maîtres de chapelle pour appuyer cette
demande, est remise au chanoine Favier, administrateur de la cathédrale. Mais ce
même jour, à l’unanimité, le Chapitre décide de garder Saint-Martin comme
organiste de Notre-Dame. Le chanoine Favier s’en explique publiquement
« par simple courtoisie » le 7 juin :
Le choix de Saint-Martin comme suppléant par Vierne lui-même justifie techniquement cette nomination ; Depuis dix-sept ans, Saint-Martin a donné entière satisfaction et jamais il n’y a eu de réclamation concernant la tenue de l’orgue par ses soins, au contraire ; Le Chapitre estime que l’orgue doit collaborer prioritairement à la liturgie. C’est ce qui est demandé avant tout à l’organiste.
Il s’ensuit un tollé dans le
milieu organistique parisien. On insinue la rumeur de la nomination d’un organiste
amateur obtenue par intrigue ou par faveur du clergé. La pression médiatique
est telle que Saint-Martin envisage de démissionner et de rejoindre la tribune
de la cathédrale de Perpignan qui lui est ouverte. Mais Notre-Dame tient à son
organiste et le retient fermement. Il va payer chèrement cette nomination. Il
est banni du monde « officiel » de l’orgue et le déferlement de
dénigrements et de malveillances en feront pour longtemps un musicien méconnu,
sinon méprisé. De ces blessures, il ne laissera jamais rien paraître, gardant
sous les affronts une sérénité et un sourire immuables. Citant Emile Ollivier,
il prend le moyen de ne s’occuper de ses
ennemis, ni de s’irriter, mais simplement, d’acquérir silencieusement une
valeur intellectuelle et morale suffisante pour braver leurs attaques.
En mars 1939, la revue
« Musique sacrée » commence à faire paraître huit articles sur
« L’année liturgique en musique par le grand orgue aux messes basses du
dimanche », dans lesquels il expose sa conception du rôle de l’organiste à
l’église, et sa méthode pour construire
les programmes de ces messes.
Cette même année, Frédérick
Marriott, organiste américain prenant des leçons chez Marcel Dupré, fréquente
régulièrement la tribune de Notre-Dame pour se faire une opinion à la suite des
articles de la revue « The Diapason » colportant les calomnies
parisiennes. Son opinion faite, « The Diapason » revient sur ses
écrits et annonce en juillet une tournée de Saint-Martin aux USA et au Canada
de janvier à mars 1940. A coup sûr, cela rachèterait les avanies. Mais,
nouvelle déception, le numéro de décembre annonce « avec regret »
que, du fait de la guerre, la tournée est annulée. Saint-Martin a en effet été
affecté au Ministère de la Guerre.
La défaite, l’inconcevable malheur qui nous frappe, touche
au cœur le croix de guerre 1914. Un concert spirituel donné à Notre-Dame le 8
mars 1941 en pensée des deux millions de Français prisonniers en Allemagne, va
lui fournir l’occasion de crier son patriotisme. Dans une cathédrale bondée, il
fait soudain jaillir des grandes orgues le chant de la Marseillaise en conclusion
de sa paraphrase de l’hymne national, « In Memoriam ». La foule, d’abord
incrédule, finit par se mettre debout. Après ce coup de panache, il s’attendait à
être arrêté. (note
1)
La guerre est là. On gèle dans
l’appartement. On gèle à Notre-Dame où souvent les coupures d’électricité ne
permettent pas de jouer. En 1942, on se décide, le cœur déchiré, à vendre
Fonlabour, qui sera plutôt bradé. Les années paraissent bien longues avant que
l’on entrevoie la Libération. On la présume le 16 juillet 1944, avec un « Premier
Récital d’Orgue Saint-Martin », donné dans une cathédrale comble. Un
deuxième récital par Marcel Dupré est donné le 13 août, à six jours des
barricades. Le 26 août, Saint-Martin est convoqué pour un Te Deum en présence
du général de Gaulle. La tribune du grand orgue est inaccessible. Des balles
sifflent ; seul le petit orgue intervient. Dans la panique, on entonne le
Magnificat. Le Te Deum ne sera chanté que le 9 mai 1945. (note 2)
Les années qui suivent sont
essentiellement consacrées à la composition. Je me cramponne à mon travail. Je manie, avec une soumission pleine et
entière aux desseins de la Providence, la gomme et le crayon. Quelque peu
las,il ne donne pas suite à une nouvelle proposition d’une tournée aux
USA, ni à la proposition d’une tribune en Californie. Il y réfléchit, mais,
malgré les difficultés de la vie, il est trop attaché à Notre-Dame.
La vie est maintenant effectivement
très difficile. Voici venir l’épreuve de la pauvreté. Etranger aux questions
d’argent, au point de parfois ne même pas se faire payer quand il y a lieu, il
commence à réaliser que la fortune familiale a fondu au fil du temps et de
continuelles dévaluations. Les yeux
s’ouvrent dans l’ahurissement devant la réalité des choses. Il ne restera
bientôt que les maigres émoluments de Notre-Dame, de rares cachets et quelques
leçons. La Providence en la personne de parents et d’amis fidèles permettra heureusement
d’un peu compenser. Grâce à un dentiste ami qui achète l’appartement au moment
de la vente de l’immeuble par appartements, il peut continuer à y demeurer. Grâce
à son neveu, des expertises d’orgues lui sont commandées pour les dommages de
guerre.Rien ne lui retire sa
sérénité apparente, son sourire, sa courtoisie, son élégance malgré l’usure des
vêtements. Notre-Dame l’aime, et l’entourent l’admiration chaleureuse de
nombreux amis, celle, toute intime, de Janine Fontanges, chère amie et
confidente, et celle, dans les derniers mois, de jeunes gens enthousiasmés.
En 1946, ce sont douze jours de
récitals en Angleterre. En 1948, 1950 et 1952, l’organiste de la cathédrale de
Bordeaux, le chanoine Lacaze, l’invite parmi les plus grands maîtres pour les
récitals biannuels de « Renaissance de l’Orgue ». En 1950, il se
produit à Florence et à Sienne, et en 1952, en Tunisie. En juin 1953, il donne
bénévolement quatre récitals à Saint-Charles de Monceau à Paris pour la
réfection de l’orgue.
En 1954, sa santé se détériore progressivement. Le 10 juin, après une opération de la dernière chance, il s’éteint doucement chez lui. « Trois personnes se trouvaient là dans une prière silencieuse, Madame de Saint-Martin, Marcel Dupré et moi-même » (Pasteur Georges Marchal).
Le brillant des notices biographiques cache bien souvent ce que vécurent réellement les intéressés. Saint-Martin ne vécut pas son titre d’organiste titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris comme l’heureux couronnement d’une carrière, et le sourire qu’il affichait en public n’était pas un sourire de béate satisfaction. Je suis ainsi fabriqué que je me livre rarement dans cette vie officielle qui m’est imposée et que je déteste. Il ne céda jamais à la tentation de se faire de l’altière tribune un piédestal personnel », écrit le R.P. Michel Riquet, le célèbre prédicateur de l’époque, dans le Figaro quelques jours après le décès.
Le bonheur de Saint-Martin fut de toucher des orgues, et, pendant plus de trente ans, de toucher le merveilleux instrument de Notre-Dame, rêve inimaginable, même dans ses plus beaux rêves de jeune organiste à la cathédrale d’Albi. Son bonheur, en 1927, alors qu’il semble dans le plein élan d’une carrière et supplée Louis Vierne en tournée aux USA, il le lui confie dans une correspondance : Je ne suis jamais plus heureux qu’entre mon orgue, mon piano et ma table de travail. Et presque vingt ans après, il écrit un jour à Janine Fontanges : Ce n’est que dans le travail que l’on oublie toutes choses. Le reste n’est qu’erreur, illusion et décevance… Ici le temps est maussade, il pleut par moments en averses torrentielles suivies d’éclaircies sereines, l’image de ma vie, mon papier à musique, mes claviers, mes souvenirs, les moments de joie, les moments de détresse, les heures qui passent, les années aussi.
Allusion directe à sa vie oscillant entre les épreuves d’un monde odieux, et les recommencements qui suivent, plus ou moins chargés d’espérances. Toutes ses légitimes ambitions furent systématiquement étouffées : interdits de son père, guerre de 1914, rupture de son amitié avec Louis Vierne, cabale à son encontre après sa titularisation, guerre de 1939-1945, et, les dernières années, la pauvreté, désolante conclusion financière de tant d’années de travail. Il en souffrit au point d’écrire un jour à sa confidente : Comme je voudrais n’avoir jamais quitté ma cathédrale d’Albi... Comment ne pas être désarmé quand on est emporté tout le long de sa vie par des événements qui surviennent hors de tout désir et de toute volonté.
« Par
quels chemins intérieurs et quelles épreuves le Seigneur a-t-il voulu faire
passer son serviteur ? C’est son secret » (Mgr Jehan Revert, maître
de chapelle émérite de Notre-Dame de Paris, homélie de la messe du cinquantième
anniversaire). Mais l’on dirait bien qu’une main invisible, celle de Notre-Dame
sans doute, en jetant périodiquement des obstacles sur sa route, l’amena à
chaque fois à se recentrer sur sa vraie vocation, et le conduisit ainsi
mystérieusement de Sainte-Cécile d’Albi à Notre-Dame de Paris, où il n’eut pas
d’autre ambition que de la servir en musique avec la plus grande ferveur.
Note 1
L’œuvre eut un grand retentissement, dont le
maréchal Pétain se fit même l’écho dans un pli adressé à l’auteur le 27
mars : « J’avais été tenu au courant de l’émotion poignante qui avait
saisi tous ceux qui étaient réunis le 8 mars à la basilique de Notre-Dame…..Je
voulais vous féliciter… ». Le succès fit que dans
les semaines qui suivirent, la partition fut éditée chez Durand, portant en
couverture la dédicace : « A Monsieur le Maréchal Pétain »,
et son titre : « In Memoriam, paraphrase de l’hymne national
Amour sacré de la Patrie ».
Il n’en a pas fallu
plus à Monsieur Yannick Simon pour qualifier Saint-Martin, dans son ouvrage
« Composer sous Vichy », de « précurseur du culte de la
personnalité » du maréchal Pétain. Non pas à cause de la dédicace au
Maréchal, que Monsieur Simon semble
ignorer, mais à cause du sous-titre. L’auteur écrit : « Amour
sacré de la Patrie est le sixième couplet de la Marseillaise…la strophe du
Maréchal, dont ce dernier préfère les paroles à celles, jugées trop
belliqueuses, qui figurent au début de l’hymne national ».
Il est un fait que
le Maréchal avait décidé de remplacer le sanguinaire premier couplet de la
Marseillaise par le patriotique sixième couplet :
Amour sacré de la Patrie Conduis, soutiens nos bras vengeurs Liberté, liberté chérie Combats avec tes défenseurs. Sous nos drapeaux que ta victoire Accoure à tes mâles accents. Que tes ennemis expirants Voient ton triomphe et ta gloire.
Qualifier
Saint-Martin de précurseur du culte de la personnalité du maréchal Pétain à
cause de cela est pour le moins excessif, sinon ridicule.
En outre, c’est
incohérent puisqu’en mars 1941, neuf mois s’étaient déjà écoulés depuis l’arrivée
au pouvoir du maréchal Pétain. Investi des pleins pouvoirs depuis juillet 1940 par
le vote massif de la Chambre des députés et du Sénat réunis (569 voix pour, 80
contre, 20 abstentions), le vainqueur de Verdun paraissait encore aux yeux
d’une large majorité de Français leur protecteur le plus sûr. L’historien Henri
Amouroux n’hésite pas à intituler son ouvrage consacré à cette période de notre histoire
« Quarante millions de pétainistes ». Et n’avait-on pas lu en
septembre 1940 dans les « Paroles au Maréchal » de
Paul Claudel :
Monsieur le Maréchal, voici cette France entre vos bras qui n’a que vous
et qui ressuscite à voix basse… France, écoute ce vieil homme sur toi
qui se penche et qui te parle comme un père… »
Monsieur Simon, au
tribunal du parti-pris, partage avec d’autres l’obsession de condamner tous
ceux qui ont œuvré sous l’occupation. Claude Delvincourt, Olivier Messiaen,
Norbert Dufourcq, Maurice Duruflé (à cause de la commande de son Requiem),
nommés au Conservatoire Supérieur de Paris pendant l’occupation, Henri
Dutilleux, et d’autres encore, ont eux aussi été soupçonnés. Monsieur Simon ne
s’intéresse qu’à un sous-titre, et dédaigne la noble et héroïque inspiration de
l’oeuvre. Il y a un cours de l’histoire. On ne peut en juger selon les critères
hypocritement moralisateurs d’aujourd’hui .
Note 2
James Frazier, à la page 32 de son ouvrage Maurice Duruflé – the man and his music, écrit à propos de cette arrivée du général de Gaulle à Notre-Dame :
L’organiste de la
cathédrale, Léonce de Saint-Martin, ne jouait pas pour le service. En effet, il
était absent de la cathédrale en raison des quatre années de guerre, et il lui
était reproché d’avoir été photographié au coté d’organistes allemands en
uniforme militaire. Quelle que soit la raison pour laquelle Saint-Martin n’a
pas joué pour le Te Deum à Notre-Dame, que ce soit à cause de ses sympathies
personnelles ou simplement à cause de ses attaches avec la première cathédrale
de France, Duruflé fut invité à jouer à
sa place.
Selon les notes figurant à la fin de son ouvrage, J. Frazier a rédigé ce paragraphe en se fiant à des renseignements de Paul Duruflé. D’où ce neveu de Maurice Duruflé a-t-il tiré ce méli-mélo de fausses informations et de calomnies, allant jusqu’à rapporter , selon la note n°38, que Saint-Martin avait été étiqueté collaborateur. Par qui ?
Saint-Martin absent de
la cathédrale en raison de la guerre : faux. Saint-Martin a
scrupuleusement assuré son service pendant toute la guerre. Jean Guérard
rappelle dans son livre que, jeune maîtrisien pendant l’occupation, il avait
obtenu du maître de chapelle, le chanoine Merret, l’autorisation de monter à la
tribune pour les messes de 11h15 avec orgue, et que c’est là qu’il l’a connu.
Saint-Martin
photographié au coté d’organistes allemands en uniforme : Le reproche
vient de qui ?
Il n’est pas invraisemblable que des organistes allemands
aient profité de Paris pour demander à visiter la tribune et à en garder le
souvenir. Par exemple, sont venus à Paris voir et sans doute toucher des
orgues, Fritz Werner, musikbeauftragter (chargé de mission pour la musique), et
Josef Aurens, organiste de l’orchestre philharmonique de Berlin. Etait-il
possible de refuser ?
Saint-Martin n’a pas joué pour le Te Deum : Il n’y a pas eu de Te Deum. Du fait de l’arrivée prématurée de général de Gaulle et surtout de la panique due à la mitraillade survenant dans la cathédrale, ce fut l’improvisation la plus totale. Un prêtre présent eut le sang-froid d’entonner le Magnificat. De Gaulle écrit dans ses « Mémoires de guerre » : « Le Magnificat s’élève. En fut-il jamais de plus ardent ? »
Sympathies personnelles pour l’occupant ! Le patriotisme de Saint-Martin ne peut être mis en doute. Avoir suggéré cette pure calomnie à J. Frazier est outrageant. Pendant ces semaines, Saint-Martin écrivait sa « Toccata de la Libération ».
Ses
attaches avec la première cathédrale de France :
Le contexte ne semble évidemment pas vouloir dire que les bonnes relations de
Saint-Martin avec la cathédrale empêchaient ce dernier de venir. Il
faudrait plutôt comprendre que le clergé de la cathédrale étant lui-même
discrédité en ayant soutenu le régime de Vichy, comme le faisait toute lahiérarchie de l’Eglise selon ce que l’on lit quelques lignes plus
haut, Saint-Martin, du fait même de ses bonnes relations avec le clergé, était
compromis.
Duruflé
fut invité à jouer à sa place : faux. Il aurait été invité par
qui et à quel titre? Le souvenir des difficiles relations de Vierne, et à
travers celui-ci, de Duruflé, avec Mgr Brot archiprêtre, avec l’abbé Lenoble,
intendant, et avec le Chanoine Merret, maître de chapelle, faisait que Duruflé
était à coup sûr le dernier organiste que l’on aurait invité. J.Frazier semble
ignorer qu’en France, c’est l’affectataire qui est le patron, et par conséquent
celui qui embauche.
Les faits véritables sont rapportés dans le livre
de Jean Guérard « Léonce de Saint-Martin à Notre-Dame de Paris »
pages 97 et 98, et la note manuscrite de Saint-Martin lui-même les résume parfaitement.
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